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Jeudi 9 novembre 2023, 20h30 à l’Astronef, Lucie Dèche présentera son film documentaire « Mamie 44 »

À l’occasion du Festival Racine des Futurs on vous présente notre premier événement de la saison à l’Astronef, qui se déroulera le 9 novembre prochain:

la projection du film « Mamie 44 ».

Jeudi 9 novembre, 20h30, au bar culturel l’Astronef, 3 place des avions, 31400, Toulouse

prix libre (donne ce que tu veux, 5 euros c’est pas mal, plus c’est super, moins si t’as rien!)

La projection sera suivie d’un temps d’échange avec la réalisatrice, Lucie Dèche, modéré par le directeur de l’association David Crochet.

Et ensuite une boom sur le thème libération proposée par la réalisatrice!

En attendant, nous vous proposons une interview de Lucie qui travaille en lien avec nous depuis 2013, nous partons à la découverte de cette réalisatrice passionnée, qui nous livre un brin de son histoire familiale, sa motivation pour explorer un sujet délicat, et l’impact de l’héritage familial sur sa vie. Elle partage également son choix de privilégier le son pour raconter cette histoire, le tout dans l’optique d’offrir une voix aux silences qui entourent les tabous familiaux. Une réflexion profonde sur l’importance de briser les secrets de famille afin de se connaître un peu mieux soi-même, d’exprimer les émotions pour se libérer.

Pourrais-tu te présenter ? Et comment as-tu connu Chercheurs d’Autres?

Je m’appelle Lucie Dèche, j’ai 39 ans, j’habite dans le Lot. J’ai connu Chercheurs d’Autres à Toulouse quand j’y vivais, parce que je connaissais David, et Clément qui fait partie des fondateurs mais qui vit maintenant à Marseille. À l’époque je les ai connus actifs dans Samba Résille, ils venaient tout juste de monter Chercheurs D’autres; grâce à leurs études en sociologie.

Qu’est-ce qui t’a poussé à explorer ce sujet délicat ? 

Ce qui m’a poussé à le faire, c’est mon enfance, mon rapport à ça, mon malaise face à ce tabou qui a pris plusieurs formes différentes pour s’exprimer, jusqu’à celle-là, puisque je fais des films depuis quelques années.

Même si on pourrait penser que cette partie de l’histoire familiale est lointaine, comment ce lourd héritage familial a-t-il eu un impact dans ta vie ? L’as-tu vécu comme une souffrance ? 

J’ai toujours trouvé cela obstructif, j’ai assez jeune détesté les tabous, et celui-là en particulier, parce que j’ai senti très vite la question de l’appartenance et de la honte. La question politique, ou de classe. Et puis, je n’ai vraiment pas apprécié de me tromper à ce point. Vers l’âge de 10 ans, j’ai pensé à tort que mon grand-père était juif et que c’était pour cette raison qu’il était décédé. J’ai partagé cette idée avec une amie, puis avec l’une de mes grandes sœurs, mais elle s’est moquée de moi. J’étais vexée comme un pou. Elle a rectifié en me disant : « c’est le contraire ». Cela m’a rendue triste. Je me suis dit « mais en fait c’est quoi cette famille? »

A cet âge on est binaire, soit bon soit mauvais. Mais je me souviens que par la suite ce qui m’est resté c’est une sensation désagréable. Je ne cautionnais pas le fait de laisser les autres dans le silence en lieu et place d’un récit.

Étant donné que ces autres peuvent y ajouter ce qu’ils veulent. Chacun apporte sa propre perspective en fonction de ce qu’il est et de sa place.

Plus tard, je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose, une expression, et puis au début des années 2010, j’ai fait avec des amis un long voyage en Algérie. Dans ce voyage est né un film, on y explorait l’Histoire en profondeur, on retombait très souvent sur l’Histoire coloniale française, l’Histoire politique des deux rives, c’était fort. En revenant j’ai senti qu’il fallait que je fasse ce travail sur mes propres racines, dans laquelle cette histoire de grand-père avait une place prépondérante.

Pourquoi avoir privilégié le son plutôt que l’image ? Penses-tu que c’était plus facile (pour ton père) notamment de raconter ce sujet tabou ?

Oui, je ne voulais pas du tout le filmer parler, « braquer » la caméra sur lui alors qu’il allait chercher ses mots, puiser en lui même.

Après la forme a découlé de cette contrainte. Il fallait que je puisse le filmer, le représenter sans la parole.

Et puis je suis ingénieure du son, je prenais beaucoup le son sur les tournages à cette époque, alors dans celui-là je passais du temps à collecter du son de cet endroit que je connais très bien, de ce moment des vendanges que j’ai beaucoup traversé, dans ces même lieux; et puis je ne pouvais pas faire de belles prises de son en même temps que je filmais (car je tournais seule, par choix) alors je faisais chaque chose séparément. Et le montage final a découlé de ces choix.

Il ne fallait pas que les choses soient littérales, que le sens soit trop clair, je ne suis pas historienne, j’avais besoin de parler des voiles et de la nébuleuse que constitue un tabou.

As-tu fait ce film aussi pour la nouvelle génération ? Les enfants de la famille ont-ils vu le film ? Si oui, quelle a été leur réaction ? / À terme, aimerais-tu que ton film soit diffusé dans des écoles ?

J’ai fait ce film pour m’exprimer, pas plus pour les vieux que pour les jeunes. Pour parler de ces choses honteuses, taboues, du mauvais côté de l’Histoire. J’ai fait le film pour les personnes qui ont vécu cela et qui vont retrouver des poids et des ombres qui les ont habité, et ça fait suffisamment sens pour moi. Il y a un désir de se délester et surtout de dire « je me positionne », et que toustes nous devrions dire « je me positionne » plutôt que de laisser toutes ses histoires dans le placard. Il faut saisir ses histoires, ne pas les laisser dans la poussière sous prétexte qu’il y a des affects qui les rendent intouchables. Oui, la violence a empêché et empêche toujours les contemporains de ces histoires de les raconter, de les regarder avec distance, mais ces personnes n’ignorent pas non plus qu’en laissant ces affects ronger l’Histoire elles laissent un poids énorme aux autres.

La personne qui crée un tabou le fait pour se sauver elle-même, mais elle charge en le faisant son entourage d’un silence étouffant, et d’un mystère d’une gravité inhérente.

Mes neveux et nièces, dont certains sont filmés et montés, ont vu et aimé ce film.

Je ne sais pas si ce film a une place auprès des enfants, dans des écoles, peut-être que cela dépend de l’âge.

Après la fin du tournage du film, t’es-tu senti apaisée ? La réalisation de ce film a-t-elle eu un effet cathartique (pour toi, ton père…) ?

Le tournage et le montage ont été éprouvants, donc oui, le finir a été une satisfaction. Le montrer à mon père en a été une autre, mais lui a mis du temps à le digérer, à l’accepter. Il y a une part très sensible de l’être qui se voit représenté et qui n’est pas d’accord avec cette représentation. Il n’a pas été d’accord non plus avec ce à quoi je l’ai confronté, et c’est bien normal. Se voir être mis face à ses dénis, ce n’est pas agréable, encore moins dans un film, une fois les plans et les paroles choisies, alors que pendant le tournage il était beaucoup plus détendu et tout à fait généreux, consentant.

Si tu devais résumer ton film en quelques mots ? 

Un film qui cherche à démêler un tabou politique familial sous l’hospice des sensations, anciennes ou présentes, et de discussions avec son père, pas beaucoup plus rationnelles.

Comment penses-tu que les spectateurs peuvent s’impliquer ou contribuer à la discussion autour de ton film et de ce thème ?

A eux et à elles de voir, de le faire ou non. Se lâcher, ne pas chercher à raisonner devant un film est primordial. La parole peut profiter de ce lâcher-prise.

Interview par Sabrina Lorenzini, chargée de communication